Mémoire - Christian Méchin

Niveau : 3e Cycle

Mémoire est dédiée à Clément Saunier et aux membres de l’Ensemble de Trompettes TROMBAMANIA. Créée en 2002 dans le cadre des Académies de Cuivres et Percussions de Surgères, cette œuvre fait désormais partie intégrante du répertoire de concert de l’ensemble. Jamais éditée à ce jour, elle s’adresse principalement à des élèves de 3e cycle.

Juin 1940 marque l’issue tragique de la « Drôle de guerre » et la débâcle de l’armée française face à l’invasion allemande. Le 14 juin, Paris est déclarée ville ouverte. Commence alors un exode massif : une population désorientée se jette sur les routes, tentant de fuir avec ce qu’il lui reste.

Ce moment dramatique, gravé dans la mémoire collective, a été porté à l’écran dès 1952 par René Clément dans Jeux interdits. Depuis, l’ouverture des archives a révélé des témoignages toujours plus bouleversants. L’un d’eux m’a profondément marqué : une séquence filmée clandestinement — en couleur — par un soldat allemand. On y voit l’exode avec une crudité saisissante : enfants hagards, charrettes abandonnées, regards perdus… Au premier plan : la détresse des civils. Ces images ont résonné douloureusement avec les récits de mes grands-parents, fuyant Paris à vélo, laissant derrière eux toute une vie pour tenter de rejoindre la Charente-Maritime.

C’est de ce lien intime entre l’Histoire collective et l’histoire familiale qu’est née Mémoire, une œuvre en deux mouvements.

Le premier, Exode, tisse deux thèmes contrastés : le premier traduit le désarroi, la confusion, l’élan chaotique d’une population déracinée ; le second évoque la terreur venue du ciel — celle des Stukas, avions de la Luftwaffe qui, dans un hurlement mécanique, fondaient sur les colonnes de réfugiés pour les mitrailler sans relâche. La musique, heurtée et haletante, épouse ce vertige : une fuite éperdue où se mêlent peur, désespoir et instinct de survie.

Le second mouvement, Combat, resserre le langage musical dans une tension plus contenue, plus nerveuse. Les voix instrumentales s’y affrontent dans un dialogue âpre, où transparaissent tour à tour la rage, la confusion, puis l’épuisement. À partir de la mesure 122, des fragments du premier mouvement ressurgissent : le thème principal, désormais brisé, comme effacé par le temps, revient en éclats. À la mesure 142, un clin d’œil ironique — presque grinçant — vient troubler la texture. Une cellule obstinée en doubles croches, partagée entre les voix 3, 4 et 5, impose sa pulsation lancinante. Ici, la musique devient matière de lutte : entre mémoire et oubli, entre dignité et résignation. Elle ne raconte pas : elle résiste.